La mort du cinéma français

Le cinéma français est-il vraiment mort ? À travers chiffres, polémiques et succès oubliés, cet article démonte un débat récurrent et révèle une scène bien plus vivante qu'on ne le croit.

Edouard Russeil

3/15/20254 min read

Il y a quelques semaines avait lieu la 50e cérémonie des César, et comme chaque année en bonne tradition qui se respecte, le (non)débat incessant sur la mort du cinéma français est encore et toujours remis sur la table. Chaque année depuis des décennies et accentué par les réseaux sociaux, fleurit l'idée d’un cinéma Français sur le déclin. Ce débat ne se base ni sur des chiffres ni sur quelque chose de factuel comme… des chiffres ; en fait il ne se repose que sur des ressentis déguisant à peine une méconnaissance de ce milieu (pour le meilleur…) ou alors un fort sentiment de racisme (...et pour le pire). En 2024 le cinéma en France c’est 181 millions d'entrées (1 millions de plus qu’en 2023) contre 165 millions en 2000 soit une hausse de 15 millions d’entrées. Donc premièrement, le cinéma en France n’est pas mort mais en plus, 23 films français ont dépassé les 500 000 entrées dont L’Histoire de Souleymane, Nous, Les Leroy, Le Fil ou encore Quand Vient l’Automne. Alors pourquoi ce débat existe-t-il, et qui l’alimente ?

Cette année le grand vainqueur de la cérémonie des César c’est Emilia Perez réalisé par Jacques Audiard, un film mettant en scène une personne transgenre comme personnage central. Ce film a battu le très populaire Le Comte de Monte-Cristo, énième adaptation du chef-d'œuvre d'Alexandre Dumas. Ce dernier fût récupéré politiquement par l’extrême droite qui ont vu en lui un film anti-wokiste (car le casting n’est composé que de blancs), ainsi que Un Ptit Truc en Plus de Artus . Et à en écouter certains sur le réseau social X, ce film serait le renouveau du cinéma français, un cinéma qu’on ne voit que trop rarement en France, foyer de ce cher 7ème art. Ils en rajoutent en disant qu'aucun des films de cette sélection ne méritaient de gagner face au “chef d'œuvre” qu’ils l’appellent, réalisé par Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte. Car que l’on trouve tel ou tel film supérieur aux autres allant même à le qualifier de chef d'œuvre n’est pas dérangeant, mais rabaisser toute une sélection de films plus ou moins bons est piètrement ridicule et laisse juste transparaître le fait qu’on a tout simplement pas vu ces films. Evidemment les premières personnes à critiquer le cinéma français sont celles qui n’ont vu que les plus gros hits de l’année comme Le Comte de Monte-Cristo, L’Amour Ouf ou encore Un ptit truc en plus qui sont pour eux les sauveurs de cet art en France bien que des films comme Le Fil, Les Trois fantastiques, Vingt Dieux, Miséricorde, Le Roman de Jim, La Plus Précieuse

des Marchandises, Les Pistolets en plastiques, La Bête, L’histoire de Souleymane, Maria ou même le très mignon Nous, Les Leroy (et pleins d’autres) soient sortis la même année et méritent tout autant d’être vus. On se retrouve dans une situation cocasse où ceux qui critiquent le cinéma français, ne regardent pas le cinéma français. Et dans le pire des cas, cette méconnaissance est couplée à un mépris et autre forme de discrimination devenant alors un “argument” dans la critique d’un film.

Cette année, Abou Sangaré, l’acteur césarisé dans la catégorie révélation masculine pour L’Histoire de Souleymane a été victime de racisme étant un sans papier en attente de validation d’un titre de séjour (il l’a reçu et le film raconte son histoire). Évidemment, un parti très excentré incarné sur X par un collectif féministe bien connu et d'extrême droite, lui est tombé dessus sur les réseaux sociaux déversant un tollé de critiques totalement injustifiés sans même avoir vu le film (qu’il soit bien ou non mais ce n’est pas la question ici). Emilia Perez a eu son lot de critiques aussi car elle a battu Edmond Dantès, grand chouchou du grand public (et César des lycéens), et cette fois les critiques sont multiples mais ne se ressemblent pas (pour notre plus grand déplaisir) : certains crient au “wokisme” (évidente preuve qu’ils n’ont pas vu le film) et d’autres au “snobisme” des films populaires (Le Comte de Monte-Cristo, Un ptit truc en plus) face à des films que “personne n’aurait vu” (Emilia Perez, Vingt Dieux). Leur réflexion est presque aussi pauvre que leur répartie tant certains d’entre eux font croire que le bon cinéma n’est pas politique et fait juste figure de simple divertissement. Le cinéma est politique de part ce qu’il raconte et de part son contexte de production, le nier est inutile et réducteur.

Et si vous ne savez pas de qui on parle depuis le début, faites un petit tour sur X (ex-Twitter) ou un puissant train anti wokiste extrême s’est accéléré depuis quelque temps, étrangement cela s’est accentué lorsque le milliardaire Elon Musk a racheté le l’application.

Si il y a une question véritablement intéressante à se poser en revanche, c’est celle de la légitimité de ce genre de cérémonie lorsqu'on sait que les votants ne sont pas obligés de visionner tous les films…

En clair, certains constatent que le cinéma est mort, preuve qu’il n’a jamais été aussi vivant.